Marcel Gotène, un langage pictural énigmatique

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Résumé Notre communication va porter sur l’expression de l’énigmatique dans la peinture de Marcel Gotène. Nous allons identifier à partir de quelques tableaux, les formes qui permettent au peintre de produire un art énigmatique voire hermétique. Nous pensons aussi à une lecture de la part mythique de ces formes qui, derrière la singularité d’une ligne, connotent une pluralité de faits ou d’idées. Le langage pictural qui s’assimile à une écriture de l’illisible pose la production artistique comme une symbolisation de l’existence. Ce langage pictural caractérise également une vision du monde qui procède tantôt de la représentation objective du monde tantôt récuse l’esthétique d’une réception primaire en faveur d’une quête de l’inconnu. Mots clés : langage pictural, énigme, langage verbal, abstraction, dimension mythique. Introduction Nous ne sommes pas un spécialiste de l’œuvre de Marcel Gotène et encore moins de l’art pictural. Nous nous intéressons d’ordinaire à la poésie contemporaine. Cette poésie se caractérise globalement par une expression énigmatique sinon hermétique que nous retrouvons chez plusieurs artistes peintres. Et au moment où des critiques d’art ont choisi de parler de ce peintre et de son œuvre, nous avons accepté d’associer notre voix à cette entreprise de lecture du langage pictural. Notre lecture repose sur un ensemble d’éléments contextuels dont le rappel nous semble important. Nous sommes en effet ce petit-fils d’une grand-mère qui pensait que c’était une idiotie, une gageure que d’acheter des tableaux de peinture surtout quand ils valaient des prix très importants. Pour elle, les tableaux de peinture ne servaient à rien, les afficher sur les murs d’une maison c’était appeler l’esprit du mal. Ce qui était important à ses yeux, c’était la peau du chat sauvage, les masques et les statues rituelles. Aujourd’hui c’est ce petit-fils et spécialiste des sciences du langage qui se propose de parler de « langage pictural énigmatique » dans l’œuvre de Marcel Gotène grâce à une double considération, celle des cultures congolaise et française. Nous pensons en effet que l’œuvre de Gotène est énigmatique car son contenu sémantique repose sur des argumentations limites de la diction du monde. Cette peinture nous situe dans une expression du mondain qui rappelle le caractère indicible du monde . Le questionnement sur l’indicibilité du monde instaure des stratégies de construction des systèmes langagiers qui fonctionnement de façon autonome grâce à une certaine rhétoricité. Le langage énigmatique participe d’une tradition de l’hermétisme et épouse l’ambiguïté, le brouillage, la jonglerie… L’énigmatique est devant l’énigme ce que la comparaison est face à la métaphore. En parlant du "langage pictural énigmatique", nous n’allons pas entrer dans un jeu de devinette pour résoudre des énigmes ou des abstractions picturales mais nous allons présenter l’arbitraire du langage pictural goténien comme un arbitraire qui fonde sa rhétoricité, son énigmaticité. En dehors de la sémiostylistique de Georges Molinié, nous fondons notre propos sur la théorie de la réception (cf. Hans Robert Jauss et W. Iser) car la lecture qu’on peut faire de la peinture repose de façon pertinente sur les principes de cette théorie : attribuer une valeur, prendre en compte un système de références (l’horizon d’attente), définir l’écart esthétique et se situer dans une perspective diachronique ou synchronique. Plusieurs éléments permettent de parler du langage énigmatique dans l’œuvre de Marcel Gotène. Nous pensons par exemple au rapport entre langage pictural et langage verbal, à la représentation non objective de la réalité (problème de l’écart esthétique), à la figuration du sujet, de son être-au-monde, de son historicité et de son sens… Dans le cadre restreint de cette communication, nous porterons notre attention aux deux premiers aspects. 1. Langage pictural vs langage verbal Nous concevons le langage pictural de Marcel Gotène comme un langage qui s’intéresse aux limites de la fonctionnalité de son contenu sémantique. Si « l’énigme remplit, en principe, tout l’espace sémantique d’un terme en dissimulant celui-ci » . La peinture énigmatique participerait d’une tradition hermétique parce qu’elle épouse l’ambiguïté, le brouillage, la jonglerie ou la prestidigitation. En effet, l’énigmatique est devant l’énigme ce qu’est la comparaison face à la métaphore. Les tableaux de peinture sont globalement regardés à partir d’un horizon d’attente. Cet horizon correspond à un système de références qui n’est pas identique à tous les observateurs. C’est pourquoi la lecture ou le regard porté sur l’œuvre de Gotène manifeste une plurivocité. Le tableau de peinture est un espace « textuel » qui affiche et affirme un contenu sémantique non livré. Cette conception du tableau pose le langage pictural comme un langage énigmatique. En linguistique, on parle de l’arbitraire du signe linguistique. Le rapport entre signifiant et signifié (Sa/Se) ne reposant sur aucun principe logique. C’est ce type de liens qui existe aussi entre le langage pictural et le contenu sémantique auquel il peut être associé. Le langage verbal permet de gloser le sens des traces picturales mais sans parvenir à épuiser l’interprétation. Il attribue une valeur à l’image et lui consacre sa reconnaissance. Le tableau en tant qu’œuvre d’art représente soit une réalité matérielle soit une réalité imaginaire. Il instaure une dynamique de création et de renouvellement du sens dans une culture de la modernité. En tant que langage, la peinture de Gotène instaure plusieurs potentialités de lectures mais des lectures qui ne sont envisageables que par le recours à l’autre langage c’est-à-dire le langage verbal, seul susceptible de gloser sur tout langage. En posant l’opposition des deux langages, nous voulons en réalité penser leur interdépendance. Formellement, ces langages ne recourent pas aux mêmes outils pour signifier ce qu’ils veulent signifier. Un rapport hiérarchique peut donc être envisagé : « Le langage verbal sert de métalangage aux langages non-verbaux, non seulement pour parler de ces langages, mais aussi, et surtout […] pour désigner la substance du contenu, en l’occurrence, des autres arts » . Ils sont donc différents en raison des rapports complexes qui les rapprochent. Mais dans l’approche du langage pictural, le sujet observateur ainsi que le peintre ont nécessairement besoin du langage verbal. Celui-ci annexe à ses peintures des titres qui prolongent le travail de création artistique. Ces titres construisent un système de référence, un horizon d’attente qui peut être considéré positivement ou négativement par le récepteur de l’image. Celui-ci, spécialiste d’art, construit aussi un discours critique sur l’œuvre d’art en recourant non pas au pictural mais au langage verbal. Le contenu sémantique manifesté par le verbal détermine l’appréciation de l’œuvre. Nous allons illustrer notre propos à partir de quelques tableaux dont la particularité est justement de ne pas livrer de façon explicite leur contenu sémantique, de construire une ambiguïté de l’œuvre picturale. La peinture de Marcel Gotène se situe dans l’ensemble de sa production dans l’art abstrait. En considérant par exemple les trois tableaux ci-après, nous réalisons qu’ils n’offrent pas une représentation immédiate de la réalité. A partir de ce moment le fonctionnement de ce langage dépend de la valeur que nous, observateur, lui attribuons. Mais cette valeur dépend encore de notre culture c’est-à-dire de notre vision du monde construite à partir de nos différents apprentissages et expériences du mondain. Ces expériences qui caractérisent notre univers d’attente susceptible de nous aider dans la phase d’interprétation du langage pictural, déterminent un univers d’attente spécifique à notre être. Nous indiquons là justement la place de la culture traditionnelle, celle reçue de notre grand-mère. Il semble que ces tableaux, de façon objective, ne renvoient pas à des réalités objectives, ils expriment un non-sens. Ces tableaux ne veulent rien dire ; ils expriment la non-figuration artistique. C’est dans ce sens que la tradition qui réfute ces traces sur la toile comme objet de valeur peut avoir raison. […] l’affirmation que la limite de l’art, le modèle absolu de l’art, l’art pur […], c’est l’art non-représentatif : l’art comme art ne représente rien. On peut dire aussi l’art abstrait, mais le qualitatif risque d’entraîner des connotations attristées, tout le monde ne comprenant pas qu’il faudrait y voir l’adjectif d’abstraction, au sens de tri des composantes secondaires ; il vaudrait mieux parler d’art non-figuratif . Marcel Gotène produit donc un art pur et non figuratif qui demande une interprétation. Et pour mettre fin à ce non-sens qui guette ses tableaux, le peintre leur attribue des titres. « Cœur blanc », « Couple rouge et beige » et « Les déchets du ventre » sont des titres qui établissent des valeurs sémantiques de ces trois œuvres picturales. Cœur blanc Couple rouge et beige Les déchets du ventre Le titre représente une option de lecture qui a la caution du peintre. Ce n’est pas parce qu’il a mis l’expression « les déchets du ventre » qu’il faut le suivre dans cette piste. Nous savons que le peintre est préoccupé par une recherche de la « picturalité pure [qui] vise à dépasser le prétexte ancillaire de la représentation » . Le tableau étant donné au regard du public, le pouvoir créateur du peintre s’arrête ; c’est à l’observateur ou au critique d’art de créer, d’attribuer de la valeur au tableau. On se rend bien compte que chez Marcel Gotène, la peinture a finalement besoin du langage verbal pour énoncer ce qu’elle veut dire. Ce besoin de langage verbal est en soi énigmatique car il échoue souvent à épuiser les contenus sémantiques des tableaux. S’il est possible d’émettre des hypothèses de lecture pour tel ou tel tableaux avec titre, l’absence de titre génère une dispersion de vues. Nous réalisons que les titres réduisent les écarts d’interprétation. Ils ont vocation d’induire en erreur. En guise d’exemple, nous citerons une expérience personnelle. Nous avons vu quatre tableaux de Gotène dans le restaurant de l’Hôtel Ngoyo à Madingou dans le département de la Bouenza ; mais ces tableaux restent encore de l’ordre du pictural pur parce que nous ignorons leur titre. On peut imaginer des titres pour ces tableaux, cela restera une entreprise vaine car le tableau pour être n’a pas besoin du langage verbal. Certes au commencement était le verbe mais est-on sûr de la dynamique de création picturale chez le peintre. Qu’est-ce qui vient en premier, le titre ou le tableau ? De toute façon, le titre ne s’affiche pas. Il faut l’oublier et entrer dans l’univers pictural comme on entre dans un univers étranger donc étrange. Après ce point sur l’arbitraire des titres à l’origine du caractère énigmatique des tableaux de Gotène, j’ai prévu aborder la représentation non objective de la réalité. 2. La représentation non objective de la réalité De façon presque unanime, les critiques s’accordent à dire que l’œuvre de Marcel Gotène n’est pas vraisemblable, elle n’est pas une représentation objective de la réalité… Mais grâce à un horizon d’attente, il leur est possible de construire des discours interprétatifs. Mon sentiment est que le contexte qui détermine la non objectivité de l’œuvre de Gotène est celui d’une peinture des idées. Le peintre ne peint pas une réalité matérielle. Il peint une réalité des idées en prenant en compte leur fluidité, leur évanescence, leur vacuité, leur luminosité… Marcel Gotène fait une peinture des idées lumineuses au point où on parlerait volontiers des "illuminations picturales" de Marcel Gotène. Par analogie, le peintre Gotène réalise ce qu’Arthur Rimbaud a fait en poésie en France au XIXe siècle. Sans nul doute, il est incommode de penser un tel lien mais comment ne pas faire ce lien quand on pense à la déstabilisation du sens ? Rimbaud avait mis en cause la pratique poétique de son époque. Il avait proclamé le « dérèglement raisonné de tous les sens » pour parvenir à l’art nouveau. Comment ne pas penser que ce dérèglement permet à l’art pictural de figurer le non-objectif, l’énigmatique ? Le tableau L’homme araignée construit par exemple un univers énigmatique par l’enchevêtrement des lignes, la difformité des traits, l’insignifiance des marques, des couleurs… L’homme araignée Le titre échoue à nous convaincre du caractère animal de l’homme représenté ici. Il serait question pour le critique d’interroger un réseau de sens, de construire des hypothèses de lecture pour se satisfaire de l’interprétation. Le tableau en lui-même pose une polysémie qui pose le tableau comme une totalité et comme un ensemble de référents à contempler. Si on regarde La tête du singe et l’escargot, les formes ne décrivent ni une tête de singe, ni un escargot. Elles figurent plutôt des traits de visage, des formes insignifiantes. La tête du singe et l’escargo Dans le programme du colloque, il en est fait une lecture savante : « Dans ce tableau, un escargot est apparemment posé sur la tête d’un singe. En réalité, l’escargot apparait comme un monstre à trois têtes. […] ». Les mots « apparemment », « apparait comme » illustrent l’incertitude de l’interprétation. C’est le lieu de dire que les écarts esthétiques propres aux lectures proposées dépendent de l’observateur qui voit dans le tableau des images de ses propres illuminations. Le tableau un miroir où l’on voit non pas son visage mais le visage de son imagination. Conclusion Le langage pictural de Gotène est intrinsèquement énigmatique. Le langage verbal essaie de dire, de prendre en charge l’énigmaticité du pictural mais il échoue à le faire parce qu’il n’épuise pas la lecture du tableau dans toute sa potentialité sémantique, sa vocation de produire du sens ne procède pas de la même manière que le langage pictural. La peinture se donne à voir et à méditer, regardons donc les formes picturales et méditons silencieusement car le silence est plus apte à dire ce que l’œuvre d’art signifie que la parole. 1. Des tableaux énigmatiques La peinture de Marcel Gotène, du moins les trente tableaux cités en annexe, est énigmatique en raison d’un ensemble de données qui portent sur l’inadéquation entre le titre et l’image représentée sur la toile, sur l’énigmaticité de certains référents bien connus comme l’homme, la danse, la faune et la flore, la dualité, etc. Au regard de ces différents aspects qui peuvent nous aider à définir la part énigmatique du langage pictural, nous retenons dans le cadre restreint de cette réflexion deux régimes. Nous aborderons d’une part les aspects liés aux titres et d’autre part l’inscription de l’homme et de la danse dans l’art pictural de Gotène. 1.1. L’arbitraire des titres Sans entrer dans un jeu de devinette pour dire comment le peintre définit ses tableaux, ni chercher à interviewer l’artiste peintre pour avoir une explication des titres, une lecture des titres ou du lien éventuel qui existerait entre le tableau et son titre permet d’aborder ici la question de l’égnimaticité. Il existe un rapport non objectif entre titre et représentation picturale, une sorte d’arbitraire des titres. L’idée de l’arbitraire est construite à partir de la notion saussurienne de l’arbitraire du signe linguistique. Il s’agit pour nous de montrer que ce lien est énigmatique dans le sens où il ne correspond pas au rapport signifiant-signifié (sa/se). Il y a nécessairement un décalage sinon une rupture entre titre en tant que langage verbal et tableau qui définit une expression picturale. C’est cette rupture qui fixe une énigmaticité du langage pictural goténien. Les tableaux Les déchets du ventre, les cinq rêveurs, les femmes bleues, les feuilles qui nous parlent n’ont pas un niveau dénotatif communément reconnu. Mais on penserait respectivement à la merde, à cinq personnes exprimant une attitude évasive, à des femmes de peau bleue, à des feuilles d’un arbre quelconque qui auraient la vocation de s’exprimer par un bruissement produit au moment où le vent souffle. Le fond jaune du tableau traversé par des courbes diverses pourrait ne pas être considéré comme un fond merdique. Les cinq rêveurs n’établit pas non plus un rapport objectif entre le titre et l’image représentée sur la toile. En considérant qu’un rêveur renvoie à un être humain méditatif, il y a un problème de figuration de la réalité picturale. Le tableau ne représente pas cinq portraits bien identifiables. Les femmes bleues pose une abstraction d’où il est impossible d’identifier une femme. 2. Le fonctionnement mythique Le mythe d’une œuvre artistique correspond à une vision du monde exprimée par le peintre. Mais il s’agit avant tout d’un consensus dans la lecture des aspects thématiques. Les tableaux de peinture véhiculeraient des aspects culturels liés à des modes de vie, à une doxa en mutation. Il existe donc une dimension mythique des tableaux de peinture de Marcel Gotène qu’il est intéressant à déterminer. En pensant au fonctionnement mythique, il est question d’apprécier la part de représentation symbolique et sa signifiance dans l’expression du monde. 3. Conclusion Annexes Titres des tableaux du corpus 1. Cœur blanc 2. Feu de brousse 3. Forêt d’eucalyptus 4. L’homme araignée 5. La danse noire sous la neige 6. La danse rouge 7. La tête du singe et l’escargot 8. La traversée du fleuve 9. Le cercle 10. Le couple et le coq en carton 11. Le couple rouge et beige 12. Le grand fumeur 13. Le passage inaperçu 14. Le vieux vendeur 15. Le voyage des deux poissons 16. Les acrobates 17. Les cinq rêveurs 18. Les couleurs du lit 19. Les danseurs aux bracelets 20. Les danseuses dans la forêt 21. Les déchets du ventre 22. Les femmes bleues 23. Les feuilles qui nous parlent 24. Les lianes arises 25. Les trois divinités 26. Tunel aux poissons 27. Un balai 28. Un étang sans poissons 29. Un homme alissé sur les peaux de bananes 30. Une forêt verte
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