Derniers silences de Serge Eugène Ghoma Boubanga

Publié le par www.congo.littérature

Voici un premier recueil de poèmes qui vient enrichir la poésie congolaise en nombre d’œuvres et en qualité de création littéraire. Cette œuvre établit aussi l’avènement de l’auteur dans le cercle prestigieux de la « phratrie des écrivains congolais ».

 

Paru en avril 2011 aux Editions l’Harmattan à Paris (France), Derniers silences dévoilent la maturité inaugurale du poète Serge Eugène Ghoma Boubanga et nous embarquent dans une aventure des mots sur 105 pages. Les quatre-vingt-deux poèmes en vers que compte ce recueil n’obéissent pas à une construction strophique fixe. Il existe une variation formelle constante qui place le lecteur dans une dynamique de renouvellement. C’est un effet que produit aussi les titres des poèmes (chaque poème en possède) et qui tend à situer le lecteur non pas dans la dynamique de la poésie classique française mais dans celle plus proche des traditions congolaises d’un art verbal nourri aux parfums du terroir. L’évocation des lieux et des êtres permet, par une contextualisation considérable du travail, de parler d’une poétisation du silence. Il existe une intentionalité narrative ou plutôt poétique digne d’intérêt.

Au-delà des aspects formels, il convient de retenir la quintessence du livre à partir de quelques aspects majeurs. Nous avons relevé l’ouverture à l’altérité (« Préface », p. 9) en notant particulièrement la finitude de l’être et l’isolement du sujet. Il s’agit d’un aspect que relève aussi un autre lecteur du recueil, Alain Mabanckou dans son texte paru dans Jeune Afrique n° 2630 du 5 au 11 juin 2011 sur le poète (rubrique « Lu et approuvé, le dernier-né des ooètes congolais ».

Ce recueil contient des paroles initiales qui disent la présence du sujet dans un espace-temps, dans une dynamique vitale où la naissance, la mort, l’espérance… construisent un réalisme poétique qui touche le lecteur. Mais au-delà de ce « réalisme », c’est le rapport à soi et à l’altérité qui est annoncé, c’est la rupture qui énonce la parole poétique des Derniers silences préludes au temps de la parole.

En effet, ce recueil porte sur l’écriture des ultimes silences, écriture qui conïncide avant tout au silence des mots lesquels peuvent, dans une double dynamique, être lus silencieusement ou à haute voix.

Ce livre est une sorte d’obituaire qui s’ouvre presque logiquement par une « Epitaphe ». Le silence qui règne alors est celui de l’espace du cimétière. Mais le poète s’adressant à l’éclaireur de « porter sa voix à l’infini » : « Eclaireur anonyme/Tu iras dans les nuits immortelles/Annoncer ma venue aux aïeux./Dans les gorges ombreuses/Tu porteras ma voix à l’infini/L’écho de ma vie dira ma liberté/[…] » (« Epitaphe », p. 11).

Le recueil annonce donc la passage à la parole créatrice, à l’existence telle que comprise par les philosophes existentialistes allemands qui parlent de « l’être-au-monde » (le dasein) de par l’homme. On intègre encore une dynamique pragmatique à la poésie. Les Derniers silences énoncent en effet un paradoxe. Ce titre renvoie aux silences par opposition à la parole ou au bruit (compris comme une parole inaudible. Le paradoxe est encore celui des derniers silences qui s’opposent aux premières paroles. C’est la mémoire silencieuse en soi que le poète confie à la communauté, à la postériorité (p. 58) dans un élan de partage. L’absence de déterminant devant le signifiant derniers et la notion de pluralité définissent un absolu du langage et de la réalité. Ce sont les silences « de tous les bruits […], [des] pensées, […] des gens perdus […] de grâce », (« Méditations », p. 56).

Il ne s’agit pas des « premiers silences », ni des « silences intermédiaires » mais des « derniers silences » qui deviennent ici des silences d’éternité. C’est « la diction du désert des mots » qui pose une lecture de la parole poétique. Ce sont des silences sonores qui permettent un affranchissement des limites grâce à la parole :

 

« Dans la vie qui s’achève

Ta parole affranchie

Des carcans temporels ».

(« Le poète endormi », p. 23).

 

 

Le recueil de poèmes construit une médiation entre le silence et la voix, la lecture du poème et sa non-lecture… Il existe ce dialectisme présocratique qui construit des possibilités de lectures du recueil. Notre sentiment est que cette poésie est engageante dans le sens où elle sent qu’elle tend à déconstruire toute perception du monde fondée sur un réalisme primaire des études.

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